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Le Club citoyen c’est quoi ?

Par Noël Garnault

Noël Garnault est un sociologue du sport spécialiste des aspects socio-éducatifs du foot-

ball. Sa présence dans les commissions de District et de Ligue lui confère également une

connaissance aiguë du foot amateur.

Pendant sa courte histoire (voir encadré) le sport n’a donc         parents. Leurs animateurs sont passionnés.    "Ils ne sont
      jamais été une fin en soi. Au contraire, il apparaît dès son  Ils les portent à bras le corps leur consa-    pas rien,
      origine comme un outil d’intervention sociale, lié au sys-    crant une partie de leur vie, avec des am-     ces clubs.
 tème pour le meilleur comme pour le pire. Dans ce contexte,        bitions limitées, mais en faisant aussi bien    Ce sont

ce sont les clubs, ses relais sur le terrain, qui ont fait fonction de que possible, et ce n’est déjà pas rien.   eux, l’âme

caisses de résonance, soit quant aux besoins sociétaux dans l’air Les seconds, les "clubs citoyens", nos "clubs et le sang

du temps, soit quant aux dérapages qui en résultaient. C’est ainsi thérapeutiques" du temps présent, structu-     de notre
que l’on pourrait parler d’abord de "clubs thérapeutiques", puis rés, parfois liés à leur municipalité de ré-      sport"
par la suite, de "clubs ouvriers", de "clubs populaires", de "clubs férence par une convention, sont des par-

communautaires, voire identitaires"…                                tenaires de terrain pour l’ensemble des acteurs de la prévention

Le foot est touché plus encore que les autres sports par cette et du champ éducatif. Leurs staffs réunissent des compétences

évolution. Plus de 2 millions de licenciés à la FFF en 2015-2016 ! solides. Ils sont à même de travailler en partenariat et selon les

265 000 à la seule Ligue de Paris ! Pour tous ces licenciés, com- circonstances avec le centre social, l’école, les familles dans la

bien de maillots chaque saison, combien de ballons, de paires panade, les ados qui ont besoin de se faire remonter les bretelles.

de chaussures, de déplacements en bus, de contrats de pub Ils organisent des tournois voire des camps foot en été. Ils portent

mirifiques, d’heures de télé, mais aussi combien de petites ou leur ville à leur façon partout autour d’eux, et sont portés par elle.

de grandes compromissions des instances de pouvoir, com- Ce sont souvent les derniers relais locaux d’Éducation Populaire,

bien d’états qui dérapent afin d’obtenir une organisation pres- après la disparition des associations d’animation, des patros, et

tigieuse…? Bien sûr que vu sous cet angle, le foot, du simple fait des louveteaux du coin. Revers de la médaille, selon leur nombre

de la surface financière qu’il représente, tient une place spéci- de licenciés, il leur faut généralement un budget conséquent re-

fique. Dans un espace libéral sans merci qui se sert de lui à foison, conductible d’une année sur l’autre du seul fait de leurs obliga-

l’écart s’est creusé chaque jour un peu plus entre sa dimension tions réglementaires (entraînement, encadrement technique des

économique voire spéculative, et sa dimension ludique. La typo- jeunes, fonction administrative).

logie initiale de ses clubs s’en est trouvée modifiée.              Ils ne sont pas rien, ces clubs, contrairement à ce que certains

A présent, il existe d’un côté ceux de l’univers professionnel voudraient nous faire croire. Ce sont eux, l’âme et le sang de

qui font leurs affaires au mieux. De l’autre côté, on retrouve notre sport. Paradoxe : sans les "clubs de base", sans les "clubs

l’univers amateur, ses "clubs de base" et ses "clubs citoyens". citoyens", il n’y aurait pas de foot pro ! Par contre, combien de

Les premiers se débrouillent comme ils peuvent avec la pape- jeunes finiraient dans la rue, avec pour seule occupation d’y se-

rasse, les jeunes, la caisse qui est vide, les problèmes de ter- mer le trouble ? Non le sport n’est pas neutre, et le foot moins

rain, les transports à prévoir pour le week-end, le désintérêt des encore que les autres.

UN PEU D’HISTOIRE

A l’origine, le terme générique de "sport" recouvrait tout simplement la pratique d’activités physiques. Il s’agissait de loisirs et de
comportements ayant pour finalité de valoriser la santé et l’hygiène de vie. En 1828 ce concept apparaît pour la première fois, dans
le cadre d’une note de recherche universitaire. Moins de deux cent ans pour parvenir où nous en sommes à partir de rien, autant dire
que c’était hier ! La place de premier plan que le sport occupe de nos jours, pourrait sembler illogique compte-tenu de la brièveté
de son histoire. Ce serait une erreur de le croire car il constitua une innovation d’importance. Il est né de vices profonds de la société
du XIXe siècle, dont en particulier une hygiène corporelle insuffisante, l’insalubrité, et la maladie (grandes épidémies, tuberculose).
Ses débuts vont de paire avec le développement d’un courant de pensée innovant lié à cette situation, "l’hygiénisme", qui avait
vocation à y remédier, et à qui on doit en particulier les premières installations dédiées à la pratique sportive. Sa fonction initiale fut
donc en quelque sorte thérapeutique. Elle allait de paire avec le thermalisme et les bains de mer par exemple. Sous le contrôle des
milieux aisés, il prospéra non seulement comme un moyen de se maintenir en forme, mais aussi comme un moyen de se réaliser et
de se soigner (sanatoriums en montagne). Après une phase de démocratisation, le sport devint ensuite l’un des marqueurs impor-
tants de la civilisation moderne, qu’il s’agisse des réussites de celle-ci, ou de ses dérives les plus honteuses. Le sport n’est donc pas
neutre. S’il contribua initialement à la victoire contre les maladies infectieuses, il se trouva mêlé avec le XXème siècle à la politique,
puis plongea dans la guerre. Ce sont les nazis qui le récupérèrent à Berlin sous le regard goguenard d’Adolf Hitler, les Américains
en Chine pour une partie de ping-pong diplomatique restée mémorable, les athlètes à Mexico, avec sur le podium des JO le sprinter
US Tommie Smith, levant un poing ganté de noir pour protester contre la ségrégation… De nos jours l’argent sale et le dopage l’ont
envahi. Il ne peut que les subir, comme une gangrène et comme une insulte.

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